Get Adobe Flash player

Docteur Sapin

Dr Sapin, chef du service des soins palliatifs CH Dron de Tourcoing: «je ne peux pas y être favorable à l’euthanasie»

Thérèse Sapin, chef du service des soins palliatifs au CH Dron a passé 34 ans à Tourcoing ! À l’heure de la retraite, nous l’avons rencontrée pour évoquer l’évolution de la spécialité. Ce qui motive ces spécialistes est réellement la bienveillance.

 

Pourquoi avoir choisi les soins palliatifs ?

À la base, j’avais choisi la gériatrie pour faire une médecine globale. J’ai passé mon diplôme mais ça ne me suffisait pas, parce que les patients que je rencontre vieillissent, meurent et ça, on ne l’apprend pas. J’ai passé le diplôme de soins palliatifs. On n’avait qu’une heure de cours à la fac sur la douleur. La chance que j’ai eue c’est d’avoir travaillé dès le début de mes études pour les payer à Oscar Lambret. J’ai appris à manier la morphine avant les autres médicaments !

Votre vision a-t-elle évolué sur les principes éthiques ?

Oui, quand même. Préserver la vie par n’importe quel moyen oui mais pas à n’importe quel prix. Ça, je l’ai appris vite. À condition qu’ils soient accompagnés et ne pas souffrir.

Des cocktails pour mourir ?

J’ai aussi connu ce qu’on appelait les cocktails lytiques parce que comme on ne savait rien faire, au bout d’un moment on leur mettait quelque chose « pour pas souffrir » en sachant parfaitement que les médicaments et les doses qu’on mettait allaient les tuer. Pour moi ce n’est pas autre chose que de l’euthanasie, je dirais presque que c’est un manque de courage et on n’assume pas jusqu’au bout sur des patients à qui on ne demandait pas leur avis. On posait la perfusion. Ils ne mouraient pas dans les cinq minutes mais on savait qu’ils ne mettraient pas trop longtemps quand même. J’espère que ça n’existe plus ! Au fur et à mesure des formations, quand je vois des infirmières, je leur dis « j’espère que vous ne rencontrerez jamais ça mais si vous le rencontrez refusez de le poser parce que c’est vous qui allez le porter ».

Existe-t-il d’autres choix ?

L’accompagnement ! On a la sédation. Je fais une différence avec l’anxiolyse, on utilise des médicaments avec des doses faibles simplement pour que le patient ait moins d’angoisse, d’anxiété, parce qu’il en a, c’est normal. Le but est qu’il discute comme vous et moi, il n’est absolument pas endormi, simplement on abaisse son niveau de vigilance pour calmer l’anxiété. Après, si c’est très difficile, il y a l’autorisation de sédation qui a été donnée par la loi, que le patient peut demander.

La famille est-elle informée ?

On est tenu de l’informer mais on n’est pas tenus de suivre l’avis. Heureusement, car j’ai vu tellement de drôles de choses. En gériatrie, j’ai vu des gens venir voir mamy qui allait devoir partir en maison de retraite pour soi-disant lui donner à manger et qui repartaient en mettant toute la bouffe dans un sac. Comme ça, elle mourrait de faim car on n’allait quand même pas payer… J’ai vu un refus de changement de pacemaker « parce que vous comprenez ma cousine elle m’a dit que si on lui remettait une pile, il repartait pour dix ans ! » Souvent quand vous voyez des choses comme ça vous voyez réapparaître le côté financier de la prise en charge !

Mais il y a quand mêmes des moments de grâce ?

Il y a vraiment des gens qui sont au plus proche de leur personne âgée, qui viennent s’en occuper ; qui lui ramènent des petits plus que l’institution ne fournit pas.

Vous êtes parfois des confidents, des confesseurs ?

Il y a des choses que vous allez dire à votre conjoint, à vos parents à vos amis et il y en a que vous allez dire à l’inconnu que vous croisez une fois dans le train et que vous ne reverrez jamais. Parce qu’à celui-là on peut tout lâcher et que les autres on le protège d’une certaine façon. La difficulté c’est aussi de ne pas tomber dans le copinage parce qu’à un moment on va perdre son utilité. Quand vous êtes trop proche d’un patient, c’est beaucoup plus difficile.

Des liens qui se tissent ?

On a eu des mariages dans le service. On a failli faire un baptême. Les anniversaires sont fêtés, la saint Valentin aussi, ça peut être important d’organiser un petit repas ici. On peut faire plein de petites choses. Il faut que ce soit un lieu de vie en même temps. L’unité est relativement connue et reconnue, mon souhait est que ça continue dans la même ligne.

Comment voyez-vous l’évolution des soins palliatifs ?

Les unités de soins palliatifs sont faites pour gérer les cas complexes et les souffrances réfractaires. Quand il faut réajuster les thérapeutiques plusieurs fois dans la journée ça ne peut pas être fait au domicile. Vous ne pouvez pas mettre un médecin, une infirmière à côté de chaque patient plus la pharmacie ! On manque cruellement de lits. Tous les gens qui vont mourir ne doivent pas venir en soins palliatifs. Ce n’est pas un mouroir. Quand un interne m’appelle la nuit pour un patient en me disant il va mourir, je dis non. « Vous me dites il est dans le coma, il ne réagit plus », quand est-ce que nous allons pouvoir lui apporter de plus qu’un service traditionnel. Rien.

Un partage d’expérience ?

C’est important. Ça va être difficile de tout arrêter… Et en même temps je me dis que personne n’est éternel et qu’il vaut mieux partir que de se faire mettre à la cour parce qu’on n’est plus… à un moment faut savoir s’arrêter. Mais garder confiance en l’avenir en laissant des gens en place dans une super-équipe.

Quelles qualités ? la bienveillance ?

Oui je pense. Quand je reçois des candidats pour des postes, certains ne sont pas prêts. Ils le croient mais ils s’effondrent tout de suite. Il faut accepter le fait que la mort est au bout de la vie. Dans le service, on n’a que des gens qui souhaitent y travailler. Je vois souvent les familles en post-deuil, la porte leur reste ouverte. Il y en a beaucoup, pour remercier ou parce qu’ils ont évolué dans leur vie. Un besoin de parler.

En soins palliatifs à tous les âges ?

À partir de 18 ans, il n’y a pas de pédiatrie. Je connais mes limites et pédiatrie je ne peux pas. Quand je suis passée à Oscar Lambret, un gamin n’allait pas bien et voir sa mère lui dire « bientôt je ne t’aurais plus », elle fond en larmes et moi avec ! Et là je me dis que je ne suis utile ni au gamin ni à la mère. C’est dur quand on a des jeunes qui décèdent. Dans le service, on a eu une série. À chaque fois je me dis « plus jeune que moi », « pourrait être mon fils, mon petit-fils ».

Comment on tient ?

Certains jours, on est plombés. Je pense que si ça ne nous touche plus faut arrêter. Quand ce sont des numéros, des maladies, il faut arrêter. Il faut arriver à mettre une juste distance. Ce qu’on me demande c’est d’être utile.

Tout cela lié à l’accroissement de la durée de vie ?

Il y a aussi les progrès de la médecine qui font aussi que quand on cherche on trouve. On a de nouveaux moyens d’investigation. Quand j’ai commencé mes études le scanner n’existait pas. J’ai une ligne dans mes cours où il est marqué : scanner examen d’avenir ! Maintenant, vous ne vous voyez pas faires des bilans sans scanner, sans IRM. Maintenant, par d’autres côtés ça me fait peur parce qu’on privilégie parfois la technique à l’humain. Je le vois avec nos patients, on nous demande si on ne referait pas un scanner. Mais un scanner qui va montrer quoi ? Il y avait déjà des métastases au niveau du foie. Il y en avait dix, il y en aura 15, ça change quoi ? On retarde le moment où ils prennent vraiment conscience qu’on arrive à la fin parce que tant qu’il y a de la technique c’est que ça vaut le coup. (…) Certains perdent peut-être le temps pour réaliser des choses qu’ils auraient pu faire quand on sait que le temps est compté. On a tous un temps compté, on ne le connaît pas. De ce fait il y a beaucoup de chose qu’on remet au lendemain. Mais quand vous savez…

Comment répondre à la question « combien de temps reste-t-il » ?

Je ne réponds jamais à cette question. Si on a certaines maladies très évoluées on sait mais il y a toujours un facteur très individuel. Plus j’avance et plus je suis convaincue que le patient avec les mêmes symptômes n’évoluera pas de la même façon suivant qu’il a envie ou pas de se battre. D’où les difficultés des familles et des patients. Le cancérologue dit « dans trois mois il n’est plus là » et six mois après il y est toujours. On essaye de les inciter à faire ce qu’ils ont le plus envie de faire en supprimant tout ce qui est régime alimentaire auquel ils s’astreignent alors qu’on n’est plus du tout dans ce registre. Le diabétique, il ne mourra pas de ses complications. Si ça lui fait plaisir de déguster un petit gâteau ou un petit verre de vin, eh bien qu’il le prenne, nous, on ajustera l’insuline, c’est tout ! C’est garder du plaisir à vivre. (…) Je dis toujours : prenez les petits bonheurs du quotidien, n’attendez pas le grand, vous ne le verrez peut être jamais. Ça c’est mon contact auprès des patients qui me l’a appris. « Tant que vous projetez même sur une petite chose, il y a de la vie »

Vous n’êtes toujours pas favorable à l’euthanasie ?

Non, je ne peux pas y être favorable. En revanche, je la comprends dans certaines situations. Quand on voit un proche qui souffre le martyre, maintenant on a des moyens… Ce que j’aurais moins compris il y a des années. Je ne veux pas dire que je l’approuve. Généralement, l’euthanasie est pratiquée par un proche et il faut porter ça des années après. J’en ai vu tellement demander l’euthanasie et quand on arrivait à stopper leurs souffrances avec les thérapeutiques adaptées me dire « heureusement que vous ne m’avez pas écouté »…

En suisse on pratique le suicide assisté.

Là c’est la personne elle-même qui le fait. On vérifie, on lui donne le médicament. Il faut déjà être conscient, cohérent et c’est elle qui l’avale. Je peux comprendre que certaines personnes aient envie d’arrêter. Avec la sédation terminale, si c’est fait dans ce genre de condition, bon… Il y a des gens qui disent je ne peux pas me supporter, c’est une déchéance. C’est vraiment individuel. C’est une forme de suicide. Mais en tant que médecin je ne pourrai pas administrer un produit létal. (…) En Suisse c’est encadré, on ne souffrira pas et on ne risque pas d’en sortir encore plus légume qu’avant parce que c’est souvent le cas des suicides ratés.

Vous plaidez pour les directives anticipées ?

Oui. Maintenant il y aura un registre. On indique ce qu’on veut pour soi et pas rapporté par d’autres. Respecter les volontés sur jusque où je veux être prolongé, à quel prix ? À un moment, si on veut me trachéotomiser, est-ce que j’en veux ? Un passage sous machine ? Mettre un patient sous machine c’est le sédater le plus souvent et à un moment on va arrêter. Les directives, c’est dire « me connaissant, qu’est-ce que je souhaite pour moi ? ». Ça prime sur l’entourage avec la nouvelle loi. Arrêter la machine, on rappelle toujours aux gens que ce n’est pas une décision de la famille mais médicale, qu’on les associe. Mais que la décision finale ce n’est pas eux qui la prennent mais nous. On ne peut pas leur faire porter le poids. Quand c’est les siens on n’est jamais objectif c’est aussi vrai pour les soignants.

Bien en évidence sur votre bureau, il y a une boîte de mouchoirs. Est-ce parce que souvent les gens craquent ?

« Elle est là pour ça ».

 

http://www.nordeclair.fr/info-locale/dr-sapin-chef-du-service-des-soins-palliatifs-ch-dron-de-ia51b0n1100310

Submit to FacebookSubmit to Google PlusSubmit to TwitterSubmit to LinkedIn